A l'épreuve

Cabanes, abris, yourtes, zones à défendre : Louise Bossut (°1979, FR) aborde, depuis 2017, des modes d’habitat légers portés par le désir de renouveler notre rapport au vivant, la volonté de trouver une autonomie ou la nécessité de remédier à des situations de précarité.

Solitaires, familiales ou collectives, ces tentatives ont en partage l’invention, le bricolage, la fragilité, le refus des normes, le voisinage des arbres, la connaissance de biotopes éprouvés ou menacés, au premier rang desquels les forêts, les bois, les friches… Dans les lisières s’éprouvent menaces et basculements : maladie des arbres, approche du feu, assèchement, extinctions.

Ici, cependant, aucune prophétie d’Apocalypse. D’abord la vie. Des prénoms : Jeff, Anne et Pierre, Manon et Gaëtan. Comment ils font, inventent aux marges, au vert, à la main.

Ce n’est pas une démonstration, pas plus qu’un inventaire. Une partition : la vigueur plissée d’un tronc, d’altières et hésitantes jeunesses, l’incertitude d’une défense, la rigueur d’une masure, le frêle théorème d’un campement… La séquence nous porte aux rives d’expériences aussi précieuses que fragiles. Discrètes tout autant, sinon secrètes.

Lentes photographies : il faut d’abord approcher, connaître, rencontrer, éprouver. Puis choisir : tel site, telle figure, tel point de vue. Dès lors, attendre. L’occasion, la lumière. Vient la prise de vue, à la chambre. Cadrée, étudiée, composée. Louise Bossut ne saisit pas son sujet, elle l’érige, le magnifie.

Comme de le peindre : son cheminement, jusqu’ici, s’était établi sur l’investigation photographique d’héritages picturaux. Portraits, nus, natures mortes, paysages : les motifs étaient comme nimbés d’hérédité, habités par la conscience de leur histoire.

Cette connaissance demeure, continue d’investir la composition. Mais l’appel vient du réel, d’une alerte : la maison brûle, il faut repeupler, chercher l’accord. Ce que nous apprennent ces tentatives, portant prénoms ou acronymes (ZAD).

Assurément, la paix des images nourrit encore l’espoir d’un soulagement, d’une endurance du vivant (la lumière, l’invention, la barricade, l’enfance, la cabane). Mais la beauté s’inquiète, risque ses arguments.

La voix de l’artiste décline des fragments de textes accompagnant ses recherches, extraits de livres consacrés aux mutations écologiques en cours, aux manières de contrevenir à leurs effets comme de questionner leurs causes. Une image composite dispute les possibilités de floraison d’un marais urbain aux indices d’érosion des écosystèmes. Un dessin d’enfant trace avec une cruelle économie l’ambiguïté d’un départ de feu : foyer du refuge ou de la catastrophe…

Au centre, une vitrine accueille, sur un mode muséal, une collecte de sédiments minéraux, animaux et végétaux. Ce vide-poches organisé offre un répertoire fragmentaire des ressources du vivant comme de ses vulnérabilités.

C’est au cœur de cette sensation que s’inscrit la proposition de Louise Bossut, entre la possibilité d’une île et l’anxiété de la chute. Dans ce conflit, la beauté est le nom du possible, une zone à défendre.

Laurent Courtens, critique d’art (Bruxelles, 2023)